Deux livres sur les start-ups

de | 2017-03-17

Il y a quelques jours sortait en librairie le livre  de Mathilde Ramadier : « Bienvenue dans le nouveau monde ». Elle y raconte ses années dans différentes start-ups berlinoises. Pas de rapport direct avec la technique mais un point de vue qui recoupe un autre livre sorti aux États-Unis (j’ai failli écrire « les États-Unix », ce qui est une idée intéressante mais pas ce que je voulais dire !) : « Disrupted », de Dan Lyons.

Ces deux ouvrages ont plusieurs points communs qui méritent d’être soulignés car ils dessinent une image commune à ces nouvelles sociétés présentées par les politiques comme l’avenir de notre croissance chérie (car vous la chérissez, n’est-ce pas ?).

Voyons ça de plus près. Mais avant, insérons les couvertures : les images habillent vite et à peu de frais un article.

Bienvenue Dans Le Nouveau Monde

Bienvenue Dans Le Nouveau Monde

Disrupted (cover)

Disrupted (cover)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Préambule : les auteurs

Mathilde Ramadier est française, née en 1987, diplômée des arts graphiques et possède un Master de philosophie. Arrivée sur le marché du travail, elle s’est rapidement rendu compte que les start-ups offraient le plus d’opportunités.

(Rappel historique : les start-ups sont des sociétés en cours de financement, de création, voire même de définition, reposant souvent sur une seule idée et ayant à prouver leur viabilité aux investisseurs. Devenues taboues au début des années 2000, elles reviennent en grâce auprès des entrepreneurs).

Berlin étant une capitale européenne très riche dans ce secteur et cherchant un point d’entrée sur le marché du travail allemand, elle s’y installe. Suivent quatre années de précarité dans un milieu largement refermé sur lui-même mais prétendant le contraire.

Dan Lyons pourrait être son anti-thèse : journaliste américain né en 1960, ayant travaillé pour Forbes et Newsweek, il s’est trouvé poussé vers la sortie lorsque ce dernier changea de main et que les nouveaux patrons souhaitèrent faire « plus jeune ». A cinquante ans passés, il  pris de plein fouet le jeunisme des sociétés américains mais curieusement finit par atterrir dans la start-up HubSpot (inconnue en France), spécialisée dans les outils marketing (« du spam légal », tel que le présente Lyons) et cravachant avant son introduction en bourse.

Ce qui est intéressant dans la mise en parallèle de ces deux parcours, c’est la manière dont ils se recoupent parfaitement sur un certain nombre de points.

Précarité et monnaie de singe

Mathilde Ramadier déclare, en interview « en quatre ans, je n’ai signé que des CDD et des conventions de stage ». Un patron lui annonce, une fois en poste, qu’il doit la payer trois fois moins que prévu pour cause de difficultés de trésorerie imprévue. Un autre tente de faire passer une période d’essai de 6 mois. Un troisième demande une semaine d’essai non payée, juste pour voir.

Lyons, de son coté, était engagé principalement pour servir de caution journalistique grâce à sa réputation. Son salaire n’était pas aussi élevé qu’il l’aurait espéré mais il était correct. Il décrit par contre le manque de notions économiques des employés comme de l’encadrement. Une anecdote particulière parlante : il tente d’expliquer à ses jeunes collègues qu’avoir des avantages en nature – comme de la nourriture et des boissons à volonté – ne pouvait être considéré comme faisant parti du salaire car, explique-t-il, les barres chocolatées ne permettent pas d’acheter des médicaments. Incompréhension de ses interlocuteurs. Il préfère laisser tomber le sujet pour ne pas « passer pour le vieux râleur de service ».

Bore-Out

Point commun extrêmement frappant : tous les deux se décrivent frappés au bout d’un moment par une déprime, un abattement sourd, l’inverse du burn-out, une maladie moderne que l’on appelle le « bore-out ». Explication : après avoir été recrutés pour leurs compétences pointues, après qu’on leur ait promis l’aventure, la rupture avec le système des entreprises traditionnelles, les deux auteurs – comme beaucoup d’autres – se retrouvent face à des journées vides, des tâches répétitives jusqu’à l’abrutissement. Avec, en bonus, l’évaluation constante et la pression permanente d’être « fun » et de se donner à « 110% ».

Vous pouvez imaginer les doigts qui miment les guillemets dans les airs : c’est de circonstance.

Que deux personnes situées aussi loin l’une de l’autre décrivent la même chose avec les mêmes mots est extrêmement inquiétant.

Manque de professionnalisme et violence humaine

Autre point commun : l’amateurisme à tous les niveaux dans le domaine des relations humaines. Les deux auteurs rapportent (quasiment dans les mêmes termes) le choc qu’ils sont ressentis en s’apercevant que des personnes croisées un jour n’étaient plus là le lendemain. Elles disparaissaient des conversations et des mémoires. Parfois, un mail annonçant qu’elles étaient parties vers de nouvelles aventures ou bien qu’elles avaient été promues (la terminologie officielle chez HubSpot. En anglais : « graduated »).

Cette constante s’explique peut-être par la moyenne d’age dans ce type de structure : autours de 27 ans. Mathilde Ramadier raconte que la DRH à qui elle devait s’adresser avait 23 ans à peine. Dan Lyons, avec ses 50 ans révolus, faisait figure de dinosaure alors que son patron avait à peine la trentaine et que son chef direct en avait 27. Cela expliquerait le mépris complet pour la réglementation, la méconnaissance des règles et même, parfois, de l’élémentaire humanité que l’on peut s’attendre à trouver dans les entreprises (et qu’on y trouve heureusement encore).

Glissement sémantique et dictature du cool

Mathilde Ramadier rattache le langage des start-ups à la Novlang imaginée par Georges Orwell dans 1984. Des formules vides de sens, répétées à l’envie, qui finissent par remplacer la réflexion et modifier la pensée. Elle analyse d’ailleurs son travail de rédactrice comme étant à destination non des humains mais des robots de Google, ceux qui calculeront le taux de pertinence de la page, son classement et, par extension, sa visibilité. Contrainte d’utiliser un nombre restreint de formules et de mots clés, elle finit par tourner en rond dans ses messages qu’elle doit malgré tout rédiger rapidement puisque que tout est mesuré et contrôlé.

Tous deux décrivent également une sorte d’effacement de la vie sociale au profit de l’entreprise, étant entendu que, dans une famille d’aventuriers voguant sur des mers nouvelles, quelques heures supplémentaires ne sont pas grand chose. Et elles passent très bien lorsqu’on a sur place des jeux, de la nourriture et de vrais amis au lieu de simples collègues. D’ailleurs, ne font-ils pas tous partie de la même page Facebook ?

Deux formes comparables, pas deux fonds

Si vous êtes curieux de voir comment ça se passe à l’intérieur de ces start-ups dont on vous parle à longueur de magazines, que vous ne devez en lire qu’un,  et que vous vous lisez en anglais, choisissez plutôt « Disrupted » : Dan Lyons a le regard bien plus affûté et il analyse avec plus de détails son expérience. Il faut dire que ce monsieur fait également carrière à Hollywood en tant que scénariste pour Sillicon Valley, une série décrivant l’univers des … start-ups. Eh oui, il a du mal à en sortir.

« Bienvenue dans le nouveau monde » est plus léger. Il est court, se lit vite et laisse un sentiment mitigé tant le sujet mériterait d’être exploré plus en détail. Néanmoins, Mathilde Ramadier possède une plume parfois incisive – voire cruelle – et une culture générale solide qui  fait tellement défaut à ses employeurs. C’est un livre en français sur un sujet qui commence à émerger de plus en plus régulièrement donc laissez vous tenter : il est à moins de sept euros en format numérique.

Conclusion

Les patrons de start-ups (du moins ceux qui passent à la télévision ou la radio) clament tous haut et fort que l’ancien modèle d’entreprise est fini et qu’ils incarnent son renouveau. Hélas, ces deux récits d’expériences vécues montrent le contraire : sous couvert d’aller vite et d’être en rupture avec les modèles précédents (« disrupted » signifie « en rupture »), il se dessine au contraire l’ombre d’un libéralisme forcené où le succès de quelques uns se bâtit sur l’exploitation de beaucoup d’autres.

Comme avant, donc, mais avec le sourire !

Des problèmes ? des questions ? Exprimez-vous ! Les commentaires sont ouverts. Coquilles et fautes de grammaires sont notre lot quotidien : signalez-les nous à m.capello@dbsqware.com

 

« Disrupted: My Misadventure in the Start-Up Bubble » de Dan Lyons

« Bienvenue dans le nouveau monde » de Mathilde Ramadier